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Nouvelles
  • 04.06.2021

Encourager le dialogue social dans l’éducation : quatre enseignements tirés des initiatives menées en Afrique subsaharienne

La participation des enseignants aux décisions politiques est essentielle à l’émergence de solutions communes et au renforcement de la gouvernance dans le secteur de l’éducation. Le dialogue social peut également contribuer à harmoniser les mesures politiques et à améliorer la coopération entre les pouvoirs publics et les enseignants qui appliquent les normes et politiques nationales dans leurs pratiques éducatives. On peut donc considérer l’efficacité du dialogue social comme un facteur déterminant de la qualité de l’éducation. Pourtant, durant la pandémie de COVID-19, qui a perturbé le travail de plus de 100 millions d’éducateurs et d’auxiliaires à travers le monde, les enseignants et les organisations qui les représentent ont rarement été consultés au sujet des décisions relatives à la fermeture ou à la réouverture des établissements scolaires.

Une table ronde virtuelle organisée à l’occasion de la conférence 2021 de la Société internationale d’éducation comparée (CIES) a mis en lumière des moyens de renforcer le rôle des enseignants en matière de dialogue social, à partir d’exemples provenant d’Afrique subsaharienne. Cette table ronde réunissait des experts et des représentants de l’Internationale de l’Éducation, de l’Équipe spéciale internationale sur les enseignants pour Éducation 2030, du projet FORSYNC au Togo, un représentant syndical de la République démocratique du Congo, ainsi qu’un expert indépendant du domaine de l’éducation en Afrique subsaharienne. Elle se proposait de recenser les difficultés rencontrées et les occasions à saisir pour favoriser un dialogue social plus constructif en s’appuyant sur l’expérience acquise sur le terrain et les enseignements tirés en la matière.

 

Qu’entend-on par dialogue social ?

Le dialogue social est un concept central de la négociation collective, largement reconnu dans de nombreux pays. Selon la définition de l’Organisation internationale du Travail, ce terme désigne « tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun ». Dans le secteur de l’éducation, cela inclut les échanges entre les pouvoirs publics et les enseignants représentés par leurs syndicats. Les principaux problèmes de ce secteur pourraient être résolus grâce à des mécanismes et des processus de dialogue social efficaces, c’est pourquoi ceux-ci devraient être institutionnalisés et protégés juridiquement. Il peut également s’agir de dispositifs informels ou d’une combinaison des deux.

Dennis Sinyolo, coordonnateur principal du Bureau régional africain de l’Internationale de l’éducation, a souligné l’importance des échanges entre pouvoirs publics et enseignants, affirmant que « le dialogue social est essentiel à l’établissement d’un consensus professionnel et à la participation démocratique du corps enseignant, à travers une négociation collective réunissant les principales parties prenantes du secteur de l’éducation. »

Plus récemment, une attention particulière a également été accordée au rôle de la participation sociale dans l’éducation. Cette notion, dont la définition n’est pas aussi consensuelle, renvoie au fait que d’autres partenaires prennent part au dialogue politique et influencent les décisions et leurs effets : organisations de la société civile, organisations non gouvernementales, associations de bénévoles, parents et élèves, organisations confessionnelles, fondations, entreprises du secteur privé, etc. La participation sociale est considérée comme distincte mais complémentaire des processus et mécanismes traditionnels de dialogue social. L’ampleur de la participation de ces acteurs peut varier, de même que le pouvoir d’action et les moyens d’expression des personnes directement concernées par les politiques éducatives. Quelle que soit sa forme (simple consultation, dialogue ou véritable délibération, voire administration, redevabilité et suivi conjoints), cette participation a toujours pour objectif d’améliorer continuellement la qualité et la pertinence de l’enseignement.

Au cours de la conférence, les membres du panel ont livré quatre enseignements de premier plan sur les moyens d’encourager un véritable dialogue social en Afrique subsaharienne.

 

Enseignement numéro 1 : les représentants du personnel enseignant doivent être formés afin de développer leurs compétences techniques

Dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne, les syndicats ne disposent pas des capacités nécessaires pour contribuer activement et de façon constructive à l’élaboration et au suivi des politiques éducatives et des plans sectoriels. Au vu de ce constat, le projet Formation syndicale (FORSYNC) a entrepris de renforcer les capacités techniques des syndicats mais également des organisations d’enseignants grâce à des formations sur le plaidoyer, la mobilisation et la conduite de consultations et de négociations. Ces formations visent également à mieux faire connaître le système éducatif et ses diverses filières aux membres des syndicats.

Selon Aichath Sidi, représentante du projet FORSYNC au Togo, ce renforcement des compétences techniques et des connaissances est essentiel à l’instauration d’un dialogue social effectif permettant d’améliorer les politiques éducatives. Les échanges et les consultations menées auprès des syndicats ont en effet révélé que

[l]es formations doivent porter sur l’élaboration des politiques éducatives et leur suivi (examens sectoriels conjoints) ; sur l’utilisation des indicateurs de l’enseignement et des enquêtes auprès des enseignants ; sur les évaluations des acquis, l’établissement de rapports sur les résultats et l’analyse des répercussions de crises telles que celle de la COVID-19 (conséquences et perspectives pour l’enseignement à distance). Ces formations doivent en outre adopter une approche inclusive et soucieuse de l’égalité des genres, qui tienne compte des personnes les plus vulnérables et les plus marginalisées. »

 

Enseignement numéro 2 : les syndicats d’enseignants doivent bénéficier d’une autonomie plus accrue

L’instauration d’un dialogue social est hautement tributaire de l’autonomie, de l’influence et de la légitimité des syndicats d’enseignants. L’exemple de la République démocratique du Congo (RDC) montre que la réussite du dialogue social peut être compromise par la perception, au sein des ministères gouvernementaux, d’une « politisation » des différents syndicats d’enseignants. L’échec du dialogue social peut aussi s’expliquer par la multiplication et la fragmentation des syndicats, et par l’absence d’une représentativité établie.

Les syndicats d’enseignants doivent être puissants et unifiés pour surmonter les difficultés existantes, en particulier lorsque les pouvoirs publics ne sont pas disposés à engager un dialogue social constructif et une véritable négociation collective. Les syndicats doivent donc trouver le juste équilibre : protéger leur autonomie et accroître leur influence politique, sans pour autant être considérés comme « trop politisés » par les gouvernements.

Le renforcement des compétences techniques et la formation peuvent également contribuer à dépolitiser les syndicats, affirmer leur autonomie, et de ce fait consolider le dialogue social. Comme l’explique Jacques Taty, représentant syndical en RDC,

[n]ous organisons depuis le début de l’année des séances de formation et d’information sur les fondamentaux du syndicalisme à l’intention des différents membres des organisations syndicales afin que ces organisations gagnent en compétences et que les enseignants, une fois formés, puissent défendre leurs propres intérêts et contribuer activement à l’élaboration des politiques éducatives et au suivi de leur mise en œuvre. »

 

Enseignement numéro 3 : l’environnement politique joue un rôle important

La progression de la participation sociale, de la démocratie et de la gouvernance n’est possible que si le contexte national ou local permet un dialogue politique transparent, participatif et responsable. Il faut également que les principales activités favorisant le dialogue social (partage d’informations, consultation, négociation) puissent être organisées régulièrement en toute transparence et qu’elles génèrent des résultats positifs.

Le projet FORSYNC a toutefois mis en évidence une sous-représentation des femmes dans les différents syndicats d’enseignants, alors même que celles-ci constituent une large majorité du personnel enseignant dans de nombreux pays. Les syndicats doivent donc veiller à ce que les femmes, compte tenu de leur poids démographique, bénéficient d’une représentation plus équitable dans le dialogue social. Des études antérieures ont en outre montré que les femmes jouent un rôle déterminant dans la cohésion des syndicats et sont généralement moins enclines aux querelles de pouvoir, souvent sources de conflit et de dissensions (Bureau international du Travail, 2010).

D’autres stratégies s’avèrent également prometteuses pour parvenir à un dialogue social constructif et combattre la réticence des ministères à y prendre part. La Fédération nationale des enseignants et éducateurs du Congo et l’Union nationale des travailleurs du Congo (FENECO/UNTC) ont par exemple adopté des stratégies visant à former les syndicalistes, mais également à faire pression sur les ministères de l’éducation en préparant et en diffusant des communiqués de presse ainsi que des émissions de radio et de télévision.

 

Enseignement no 4 : les autres acteurs de l’éducation doivent également être impliqués (participation sociale)

En République démocratique du Congo, le dialogue social dans le secteur de l’éducation repose sur des principes fondamentaux inscrits dans la législation (loi no 14/004 du 14 février 2014 sur l’enseignement national, par exemple), ce qui garantit une approche partenariale en vertu de laquelle l’État associe les différents acteurs pour mettre en commun les ressources humaines, matérielles et financières. Cette approche coopérative, qui encourage la participation sociale dans le secteur de l’éducation, vise à impliquer tous les acteurs dans la conception et la gestion de l’enseignement national : parents, défenseurs des établissements privés agréés de l’enseignement national, représentants des confessions religieuses, communautés locales, autorités des différentes provinces, entités territoriales décentralisées, entreprises nationales publiques et privées, organisations non gouvernementales,etc.

Selon M. Taty,

la participation d’autres partenaires est également indispensable, c’est pourquoi les syndicats doivent sortir de leur rôle traditionnel, qui, cantonné aux exigences et aux revendications, a montré ses limites. »

À l’heure de la mondialisation, il est nécessaire de repenser les alliances, et les syndicats doivent nouer des partenariats avec de nouveaux acteurs tels que les centres de recherche et les universités, ce qui pourra contribuer à l’établissement de réseaux en faveur de l’apprentissage, de la recherche et des échanges.

Le projet FORSYNC est soutenu par le Centre de recherche et de sondage d’opinion (CROP), une organisation indépendante et non politisée de chercheurs africains travaillant dans différents domaines. Partenaire national du réseau de recherche de l’Afrobaromètre pour le Togo depuis 2012, le CROP a déjà conduit quatre séries d’enquêtes au Togo parallèlement à d’autres études. Ces enquêtes prennent le pouls de l’opinion publique concernant des sujets économiques, politiques et sociaux sur tout le continent africain. Plus récemment, le projet a également organisé des discussions avec les syndicats et publié des articles afin d’améliorer la visibilité des syndicats et de leurs besoins. En outre, des formations ont déjà été dispensées en collaboration avec la FENECO, et d’autres séances de formation sont prévues, notamment sur le suivi et l’évaluation des politiques éducatives.

 

Conclusion

Le dialogue social entre pouvoirs publics, employeurs et syndicats d’enseignants est essentiel pour façonner un environnement de travail positif et trouver des solutions concertées et consensuelles. C’est également un élément indispensable pour éviter les approches trop verticales dans le secteur de l’éducation, comme certains pays ont pu en faire l’expérience au plus fort de la crise de la COVID-19.

Pour améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants et la qualité de l’enseignement en général, les syndicats d’enseignants et les autres acteurs doivent être en mesure de proposer des idées différentes et innovantes en complément de celles proposées par les gouvernements et les établissements d’enseignement privés. À cette fin, les syndicats doivent faire preuve d’autonomie et être moins fragmentés, plus investis et mieux armés. La formation par différents partenaires peut contribuer à combler bon nombre de ces lacunes et donner aux syndicats les moyens de collaborer à l’élaboration de solutions communes. Les mécanismes et processus traditionnels de dialogue social peuvent par ailleurs être complétés par une ouverture à d’autres partenaires et une coopération continue en matière de dialogue politique et de participation sociale.

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Crédit photo : The Sunday Times/Antonio Muchave
Légende : Teachers from independent schools and members of the SA National Civic Organisation protest outside the Gauteng education department about the non-payment of salaries.