J’enseigne l’anglais et les arts du théâtre dans le secondaire, à des élèves âgés de 14 à 18 ans de la région de South Los Angeles, en Californie (États-Unis) et je travaille dans le domaine de l’éducation depuis près de 14 ans. Notre établissement est passé le 17 mars 2020 à un enseignement à distance, avec la suspension des cours en face à face. Le mardi, les élèves sont restés chez eux, après avoir passé la journée du lundi à recevoir des informations des enseignants sur ce qu’on allait sans doute attendre d’eux. Malheureusement, les enseignants ne connaissaient pas vraiment ces attentes. Ce n’est que maintenant, au bout de deux semaines, que nous commençons à mieux comprendre les différences de nomenclature liées à l’apprentissage en ligne.
La « suspension des cours en face à face » signifie que les apprenants suivent un enseignement par le truchement de plates-formes et de systèmes de gestion en ligne, tandis que la « fermeture de l’école » signifie qu’ils restent chez eux sans que l’on attende quoi que ce soit d’eux en termes académiques ou scolaires. Certains districts des États-Unis ont opté pour la fermeture complète des écoles, invoquant des soucis d’équité pour motiver leur décision. Un nombre beaucoup plus important d’écoles a cependant choisi de poursuivre « l’enseignement » par le biais de mesures d’apprentissage à distance.
À l’instar de nombreux enseignants à travers le monde nous avons dû, en moins de 24 heures, ajuster, modifier le programme d’enseignement et nous familiariser avec les outils numériques pour que les élèves, dès le mercredi matin, puissent continuer à recevoir leur enseignement habituel. Pour toute personne extérieure à notre district, il semblerait que nous ayons réussi en une vingtaine d’heures à assurer la transition de près de 6 000 élèves et de plus de 300 enseignants vers l’apprentissage en ligne. Certes, à bien des égards nous avons réussi à le faire, mais la vérité est que dans l’ensemble cela a représenté un échec massif.
Collectivement, la société et les gouvernements – locaux, des états et fédéral – n’ont pas répondu aux besoins des enfants et des parents. Pour être clair, cet échec n’est pas imputable aux éducateurs. Nous travaillons sans relâche, au mépris de notre propre santé ou des besoins de nos familles, à servir les intérêts de nos élèves en leur offrant une certaine stabilité. Aux États-Unis, nous sommes encore dans l’attente de directives fédérales concernant les préoccupations liées à l’enseignement en ligne. Dans l’État de Californie, certains matériels et ressources ont commencé à parvenir aux juridictions locales. Cependant, en tant que profession, nous restons largement dans l’ignorance de ce qui est juste et équitable.
Pour être sincère, cette transition a été difficile pour moi, sur le plan émotionnel et mental. J’ai l’impression de travailler plus de 14 heures par jour pour m’efforcer de maintenir le contact avec mes 140 élèves, veiller à ce que les matériels et les ressources soient accessibles et à ce que les attentes soient claires pour tous les apprenants. Bien que je sache que cela n’est ni sain ni durable, je continue à le faire pour plusieurs raisons. Premièrement, mes élèves se sentent tout aussi déphasés que moi et ils partagent ma frustration. Deuxièmement, j’ai pris l’engagement envers les élèves d’être toujours présente pour eux, au mieux de mes capacités. Troisièmement, la seule façon de surmonter cette pandémie mondiale est d’avancer tous ensemble. Enfin, il est essentiel de changer d’optique : même si cette situation est difficile pour moi, ma famille et mes élèves, je dois avoir de la reconnaissance vis-à-vis de tout ce à quoi j’ai encore accès. Plus important encore, je dois montrer l’exemple aux élèves.
Il est essentiel de changer d’optique
En tant qu’éducatrice des arts, j’ai le privilège de constater l’impact positif des beaux-arts sur les résultats scolaires des apprenants, sur leur bien-être socio-émotionnel et sur le développement de leur caractère. [Pour plus d’informations sur l’impact des arts sur les jeunes, consultez le rapport Otis.] J’ai la possibilité de côtoyer les élèves en dehors des cours ; nous organisons des spectacles, nous nous rendons à des événements communautaires, nous faisons des sorties sur le terrain et nous participons à des festivals. Ces sorties me donnent une vision claire de ce qui se passe dans la vie de mes élèves, leurs réflexions et leurs sentiments. Nos relations sont bâties sur des liens solides. Tous les matins, je les accueille à la porte de la classe et je m’assure de leur état émotionnel. Ne pas être en mesure de le faire a été pour moi une source de grande peine et de stress.
Pour de nombreux élèves, l’école est un refuge. J’ai grandi dans la communauté où je travaille. Plusieurs familles sont confrontées quotidiennement à des problèmes d’équité : expériences négatives dans l’enfance, traumatismes, pénurie alimentaire, absence de travail ou de logement et autres soucis qui interrompent l’apprentissage d’un enfant. Pour mes élèves, cette pandémie mondiale accentue – et aggrave – toutes ces préoccupations. Les parents perdent leur emploi. La pénurie alimentaire est en hausse à cause des achats de panique dans les communautés. Il devient de plus en plus difficile de conserver son logement quand le salaire n’arrive plus. Les élèves qui sont régulièrement confrontés à des traumatismes émotionnels, mentaux et physiques – ceux qui bénéficieraient de services grâce à l’école – sont maintenant livrés à eux-mêmes. Qu’en est-il de ceux qui ont des difficultés d’apprentissage diagnostiquées comme la dyslexie ou les troubles du spectre autistique ? L’enseignement à distance les prive de leurs soutiens et de leurs routines. Certains élèves n’ont pas accès à Internet et même s’ils veulent continuer à étudier, ils ne le peuvent pas.
Il est pourtant essentiel de changer d’optique. Je reconnais que la situation est beaucoup plus catastrophique pour de nombreux éducateurs et élèves à travers le monde. Nous perdons des proches et le temps du deuil semble nous échapper puisque que nous restons séparés par l’espace. Mes élèves et moi-même ne perdons pas de vue la souffrance des amis et des collègues à travers le monde, puisque nous œuvrons à être en empathie avec nos pairs du monde entier.
Ces pensées, et bien plus encore, m’obsèdent. Je pleure lorsque l’émotion me submerge, car je n’ai pas de solutions claires. J’adore mes élèves. Mes élèves me manquent. Je voudrais posséder le pouvoir de réparer tout cela d’un simple claquement de doigts. Je prépare mes cours, mais le travail scolaire semble sans importance quand je considère ce que vivent tous mes élèves. Comment combler des écarts d’équité qui étaient déjà massifs et sont exacerbés aujourd’hui par le COVID-19 ?
Dans les moments de lucidité, je me souviens que l’art possède le pouvoir incroyable de combler les inégalités et d’offrir aux jeunes des débouchés socio-émotionnels. L'intégration des arts, lorsqu’elle est inscrite dans le programme d’enseignement, a le pouvoir de soutenir de façon exponentielle la croissance scolaire des apprenants. Dans ce cas, comment puis-je intégrer les arts dans l’apprentissage à distance ?
10 façons d’assurer la continuité artistique en plein COVID-19
Voici quelques suggestions formulées avec l’aide de mes élèves en théâtre sur la façon dont vous pouvez utiliser l’art comme outil d’apprentissage alors que nous pratiquons la « distanciation sociale » :
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Plates-formes des réseaux sociaux - Si vous êtes autorisé à le faire, encouragez les enseignants et les élèves à créer des comptes appropriés pour l’école sur des plates-formes comme FlipGrid ou Tik Tok. Les élèves ont des façons incroyablement novatrices d’exploiter les réseaux sociaux pour échanger leurs idées. Cela permet également aux apprenants de rester connectés dans un contexte de distanciation physique.
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Diffusion en direct - Envisagez d’utiliser des plates-formes comme Twitch, YouTube, Facebook ou Instagram pour mettre en place la diffusion d’un cours en direct. Pour accroître l’intérêt, pensez à installer des accessoires ou des toiles de fond. Pour alléger la charge de travail, proposez à un collègue d’enseigner ensemble un cours en direct.
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Films - Proposez aux élèves un sujet intéressant et laissez-les créer un court métrage, une animation ou un documentaire. Ils peuvent ensuite télécharger leur film sur un service de « cloud » et le partager avec leurs pairs. Vous pourriez même envisager d’utiliser une plate-forme de réseau social pour publier le travail des élèves. C’est le moment idéal pour que les jeunes enquêtent sur l’histoire de leur famille.
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Podcasts - Dans le même ordre d’idées, encouragez les élèves à créer un podcast ou un enregistrement audio sur une question qu’ils auront étudiée. Aux États-Unis, la chaîne de radio publique nationale National Public Radio a une excellente ressource dans ce domaine.
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Collaboration - Encouragez les élèves à organiser leurs propres visioconférences pour continuer à travailler sur des projets en commun avec leurs pairs. Voici un tutoriel qui s’adresse aux parents et aux élèves.
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Conception graphique - Utilisez des plates-formes comme Canva pour concevoir de splendides graphismes adaptés à différents styles de projets et de cours. Canva facilite l’édition et le partage. C’est un excellent outil pour les enseignants et les élèves.
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Applications de numérisation de photos - Demandez aux élèves et aux parents de télécharger une application de numérisation gratuite sur leur appareil mobile pour pouvoir prendre facilement des photos de dessins ou de travaux écrits.
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Applications de dessin - Demandez aux élèves et aux parents de télécharger une application de dessin sur leurs appareils mobiles, telle qu’Adobe ou Autocad, pour créer des œuvres numériques qu’ils pourront facilement partager ou publier.
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Faites de la musique - Créez des nouvelles pièces musicales à l’aide de programmes comme Garage Band ou toute application mobile gratuite. Demandez aux élèves de partager leur musique entre eux et de s’encourager mutuellement.
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Literature - Gardez à l’esprit que l’écriture est un art. Encouragez les élèves à écrire des poèmes, des récits, etc. Publiez leurs œuvres avec les outils qui vous sont accessibles, qu’il s’agisse de médias sociaux ou d’un simple courriel.
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BONUS: les LEGO ou les briques de construction sont parfaits pour concrétiser un grand nombre d’idées de projets. En tant que professeur de théâtre, je pourrais demander aux élèves de créer des répliques ou des maquettes de scène. Encouragez les élèves à alléger la charge des collecteurs de déchets en recyclant des articles ménagers pour créer des modèles et des diagrammes. Si vous êtes à la recherche de listes plus complètes dans le domaine des arts du théâtre, explorez cette ressource développée par le Dr Daphnie Sicre de l’Université Loyola Marymount à Los Angeles.
Nous y arriverons, à condition d’être présents les uns pour les autres
L’avenir est incertain. Les éducateurs reconnaissent que les élèves ne réussissent pas bien, qu’il s’agisse de suspension des cours en face à face ou de fermeture des écoles. Là où j’enseigne, les élèves de la dernière année du secondaire sont dans un processus de deuil. La semaine dernière, j’ai demandé à mes élèves comment ils se sentaient. Leurs réponses ont été très émouvantes. Un élève a dit : « J’ai l’impression que tout ce pour quoi j’ai travaillé si dur au cours des quatre dernières années, tous ces cours, ne sert à rien. Tout ce stress pour avoir sans cesse de bonnes notes et postuler à l’université. À quoi bon ? »
L’achèvement de la scolarité dans le secondaire est un moment délicat, d’autant plus pour les jeunes confrontés à des obstacles insurmontables et à des expériences d’enfance traumatisantes. Nos jeunes vont bientôt arriver à l’âge adulte et ils sont privés maintenant de souvenirs qui les auraient accompagnés tout au long de leur vie. Le bien-être socio-émotionnel est aussi important, sinon plus, que les résultats scolaires. Depuis le 17 mars, je ne cesse de me demander ce que je pourrais faire de plus.
À travers le monde, les éducateurs se regroupent pour se soutenir mutuellement dans cette épreuve, comme je ne l’avais jamais vu auparavant. C’est beau et impressionnant, mais le volume des ressources peut devenir pesant. Nous pouvons œuvrer à gérer l’anxiété suscitée par le volume de matériels partagés en ligne. Nous pouvons continuer d’encourager l’innovation et la créativité et de reconnaître que les élèves sont des partenaires de réflexion dans ce travail. De même, les enseignants, les parents et les autres membres de la communauté doivent continuer à s’appuyer les uns sur les autres.
Nous nous en sortirons, tant que nous nous prendrons soin les uns des autres.
En attendant, consultez cette série de dessins « Comment transformer votre maison en école, sans y laisser votre santé mentale », How To Turn Your Home Into A School Without Losing Your Sanity (NPR)
Estella Owoimaha-Church
Estella Owoimaha-Church a été finaliste du Global Teacher Prize de la Fondation Varkey.
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Ce blog fait partie de la campagne #RécitsdEnseignants de l’Équipe spéciale internationale sur les enseignants, créée pour mettre en avant les expériences des enseignants travaillant chaque jour pour s'assurer que leurs élèves continuent de bénéficier d'une éducation de qualité malgré la pandémie de COVID-19. Les modalités de participation sont disponibles sur notre site.